Si vous suivez mon travail et lisez les articles que je publie ici régulièrement, vous n’êtes pas sans savoir que je suis une adepte de la transparence et que j’aime expliquer et décortiquer mon métier. Je vous parle notamment régulièrement d’éco-responsabilité : ici ou encore ici.
Toujours dans cette thématique, j’ai envie aujourd’hui de parler d’un sujet d’importance: la provenance des fleurs qui composent vos bouquets.
Peut-être êtes-vous déjà inscrit dans une démarche de consommation responsable: pour votre alimentation, vous privilégiez le local, les circuits courts. Pour vous habiller, exit la fast fashion, vous favorisez les marques qui fabriquent en France ou en Europe, ou le seconde main.
Mais vous êtes-vous déjà posé la question de savoir d’où viennent les fleurs dans les bouquets que vous achetez?
La fleur, un produit naturel?
Des fleurs, vous en voyez partout: dans la nature, dans les jardins… quoi de plus naturel?
Evidemment c’est un produit ‘naturel’… mais en réalité, l’immense majorité des fleurs vendues aujourd’hui sont produites selon un modèle d’agriculture mondialisée et intensive. On est bien loin de la nature.
Quelques explications…
Un marché mondialisé:
Je commencerai par un chiffre : aujourd’hui en France, près de 9 fleurs sur 10 vendues sont importées.
Pourquoi? Parce que le marché de la fleur est mondialisé.
La Hollande domine le marché, c’est la plaque tournante du commerce de fleurs dans le monde.
Concrètement, comment ça se passe?
Les fleurs arrivent d’un peu partout dans le monde (Amérique du Sud, Afrique, Europe…) jusqu’au marché aux fleurs d’Aalsmeer – environ 20 millions de tiges chaque jour en période ‘normale’.
Là, elles sont mises aux enchères auprès des acheteurs avec un système d’enchères inversées : le prix démarre haut puis diminue progressivement, les acheteurs devant enchérir rapidement et au bon moment pour acheter au meilleur prix sans que ça leur passe sous le nez au profit d’un autre acheteur. De là, les fleurs repartent de Hollande pour rejoindre leurs nouveaux acquéreurs aux quatre coins du monde.
Ce système existe et domine le marché pour une simple raison: parce que les hollandais ont un réseau, une distribution et une logistique à toute épreuve, et qu’ils brassent d’énormes volumes qui leur permettent d’optimiser les coûts. Il y a des avantages à ce système mais aussi et surtout de vraies aberrations!
Exemple: une botte de renoncules est produite en France, dans le Var. Elle part à Aalsmeer pour être mise aux enchères. Un acheteur travaillant pour un grossiste français l’achète. Elle revient d’Aalsmeer vers la France, où elle est mise en vente par ce grossiste pour les fleuristes français. On marche un peu sur la tête, n’est-ce pas? 🙃
Une conséquence concrète de ce système pour vous, consommateurs: les fleurs que vous achetez chez votre fleuriste auront été cueillies en moyenne depuis 8 à 10 jours…
Avant d’arriver en Hollande, toutes ces fleurs doivent être cultivées, et on touche du doigt un autre problème de ce système: l’impact écologique, sanitaire et social de la culture intensive des fleurs.
Les conséquences écologiques, sanitaires et sociales de ce marché
Un bilan carbone affolant
Qui dit mondialisation dit transports, et donc émissions de CO2.
Comme je vous l’indiquais juste avant, seulement 10% des fleurs vendues en France sont produites en France, 90% sont importées: d’Europe mais aussi du Kenya, d’Equateur, de Colombie, d’Ethiopie, d’Afrique du Sud, d’Israël…
Pour arriver jusqu’à nous, elles auront parcouru des milliers de km en avions cargo réfrigérés.
Pour référence: un bouquet de roses importées = 60kg de CO2 VS un trajet Paris-Londres en avion = 58kg de CO2.
On pourrait penser naïvement que les fleurs produites en Hollande, bien qu’importées elles aussi, seraient donc moins gourmandes en CO2 puisqu’elles viennent de moins loin : c’est bien souvent faux, car les fleurs produites en Hollande sont cultivées sous serre, chauffées et éclairées artificiellement. Une étude de l’université de Cranfield (Royaume-Uni) publiée en 2007 révèle même que le bilan carbone d’une rose cultivée en pleine terre au Kenya est 6 fois inférieur à celui d’une rose cultivée sous serre chauffée en Hollande.
Qui plus est, que ce soit pour la culture des fleurs (bâches) ou leur emballage et leur transport, le plastique est roi, avec les conséquences écologiques que l’on connait tous.
Une forte consommation d’eau
D’autre part, la culture intensive de fleurs nécessite une forte irrigation. Dans les principaux pays producteurs (Kenya, Equateur), la culture des roses accapare un gros pourcentage des ressources en eau, souvent au détriment des autres besoins en eau de la région.
Un usage massif des pesticides
Les cultures horticoles sont moins fermement réglementées que les cultures alimentaires. Pour conséquence, selon l’office statistique des Pays-Bas, les fleurs reçoivent jusqu’à 15 fois plus de pesticides par hectare que les cultures alimentaires. Et bien que certaines substances soient interdites en Europe, on les retrouve communément sur les fleurs importées de l’étranger.
Les conséquences écologiques sont nombreuses: destruction des écosystèmes, problèmes de qualité de l’air et de l’eau…
Elles s’accompagnent de conséquences sanitaires tout aussi graves. En effet, ces produits chimiques manipulés quotidiennement par les employés horticoles – mais aussi en bout de chaîne par les fleuristes – ont des effets néfastes sur la santé.
Une main d’oeuvre mal protégée
Dans notre économie mondialisée et capitaliste, la production de fleurs en Afrique ou en Amérique du Sud est aussi motivée par les faibles coûts de main d’oeuvre. Certes, cette industrie génère des emplois dans ces régions, mais dans quelles conditions? Bas salaires, instabilité de l’emploi, conditions de travail, protection des travailleurs, liberté syndicale… les réglementations n’y sont pas les mêmes qu’en Europe.
Si on s’arrête ici, je vous l’accorde ce n’est pas très réjouissant… mais le tableau n’est pas tout noir, et la bonne nouvelle c’est que VOUS, consommateurs, avez le pouvoir de faire bouger les lignes et évoluer les choses 🙂
Et la fleur française?
Le nombre d’exploitations horticoles en France a connu une chute très importante ces dernières décennies, notamment à cause de la domination du réseau hollandais.
Cependant, la production horticole française existe toujours, et je dirais même qu’elle connait un nouvel essor depuis quelques temps. Je vois chaque jour de nouveaux projets de ferme florale éclore, et je trouve ça rassurant pour la suite.
En effet, on note depuis un moment une prise de conscience s’esquisser sur ce sujet. La presse relaie de plus en plus régulièrement ces questions, notamment grâce au travail fait en ce sens par différents acteurs impliqués dans la sauvegarde et la promotion de la fleur française : des fleuristes engagés comme Désirée ou Fleurs d’Ici, mais aussi le Collectif de la Fleur Française qui oeuvre à promouvoir le mouvement Slow Flower en France.
Slow Flower, kezako? À l’image du mouvement Slow Food, c’est un mouvement né aux Etats-Unis dans les années 2000 et qui milite pour une horticulture responsable, locale, respectueuse des saisons et de la nature. Le Collectif oeuvre donc à promouvoir les producteurs et fleuristes engagés dans cette démarche, notamment via un annuaire permettant de recenser les acteurs impliqués dans ce mouvement partout en France.
Mais alors me direz-vous, pourquoi les fleuristes ne travaillent pas plus de fleurs françaises?
En voici quelques raisons :
offre insuffisante:
pas assez de choix > je détaillerai ce point juste après
approvisionnement compliqué:
Si les Hollandais ont une telle mainmise sur le marché, c’est aussi car ils ont un réseau de distribution et une logistique à toute épreuve.
Aujourd’hui, les grossistes vendent un peu de fleurs de production française achetées en direct (j’entends par là qui ne sont pas passées via la Hollande) mais le choix reste assez faible et concerne surtout les gros producteurs français, qui font un minimum de volume.
Pour les producteurs plus petits qui voudraient vendre en direct aux fleuristes se pose LA question de la logistique. Des solutions se mettent en place doucement, mais ce n’est pas encore parfait et cela impose plus de flexibilité.
En effet, il est moins long et plus simple pour un fleuriste de passer une seule grosse commande chez son grossiste hollandais que de multiplier les commandes chez différents fournisseurs. Qui plus est, les producteurs français n’ont pas forcément les outils ni le temps de communiquer efficacement sur leurs stocks, les variétés disponibles etc… Donc en tant que fleuriste il faut souvent s’armer de patience pour avoir les infos nécessaires pour passer commande. Tous les fleuristes ne peuvent ou ne veulent pas passer le double de temps sur la gestion de leurs commandes de fleurs.
saisonnalité:
C’est très simple: si un fleuriste veut vendre des roses à la St Valentin, il ne pourra pas le faire avec des fleurs françaises, car en France, au mois de février ce n’est pas la saison des roses.
Donc à partir du moment ou un fleuriste souhaite proposer des fleurs hors saison, ce seront des fleurs d’importation. Travailler des fleurs locales implique de travailler dans le respect des saisons.
prix:
Cet argument est à mon sens peu recevable, car d’expérience les fleurs françaises ne sont pas plus chères que les fleurs importées, au contraire. En effet, plus on passe par des circuits courts, plus on élimine des intermédiaires – et donc en passant plus on permet au producteur de se faire payer ses produits au prix juste. Cependant, dès qu’on parle de gros volumes, en effet le réseau hollandais gardera l’avantage car peu de producteurs en France travaillent de tels volumes.
Je pense avoir fait un tour d’horizon assez complet du marché de la fleur aujourd’hui. Et au milieu de tout ça, je fais quoi moi?
Et chez Atelier Aimer, on fait quoi?
Je vous parle régulièrement des différents aspects de ma démarche éco-responsable. Evidemment, la provenance des fleurs que j’utilise fait partie intégrante de cette démarche et je souhaite être tout aussi transparente à ce sujet que sur le reste.
En tant que membre du Collectif de la Fleur Française, je m’engage à utiliser un minimum de 50% de fleurs françaises tout au long de l’année.
Concrètement quand je dois passer une commande de fleurs, comment je procède:
1/ je commence par voir tout ce que je peux trouver chez mes fournisseurs français: parfois cela représente jusqu’à 6 ou 7 producteurs différents, avec lesquels je dois coordonner les différents jours d’arrivage par rapport à mon besoin – pas toujours évident…
2/ je complète avec la glane
3/ enfin, je commande chez mes grossistes en Hollande les fleurs que je ne peux pas trouver autrement.
Pour rentrer plus en détails dans la provenance des végétaux que j’utilise aujourd’hui:
– Entre 30 et 50% de fleurs et feuillages d’importation
– Entre 40 et 100% de fleurs et feuillages français
– Entre 10 et 100% de végétaux glanés. On ne peut pas faire plus local et plus bio pour le coup 🙃 >> je vous parle en détail de la glane dans cet article
Pour la part de végétaux importés que j’utilise, je suis très attentive à leur provenance.
J’ai fait le choix de sélectionner des végétaux d’importation venant uniquement d’Europe: principalement Italie, Espagne, Hollande, Allemagne, Belgique. Je le disais plus haut, le bilan carbone d’une fleur ne dépend pas uniquement de son éloignement géographique, néanmoins je pense que les ouvriers horticoles en Europe sont mieux protégés qu’ils ne peuvent l’être au Kenya ou en Equateur. Je suis aussi attentive non seulement aux pays de provenance mais également aux producteurs que je sélectionne. En effet certains s’engagent dans une démarche un peu plus ‘responsable’ que la moyenne: en compensant leurs émissions de CO2, en cultivant une partie de leurs fleurs sous serre froide, en limitant l’usage de pesticides, en mettant en place des certifications Fair Trade… Encore une fois ce n’est pas l’idéal mais c’est toujours mieux que rien. Entre deux maux, il faut choisir le moindre…
Je vous listais juste avant les raisons principales pour lesquelles aujourd’hui le pourcentage de fleurs françaises était si faible chez les fleuristes.
Pour ma part, ce pourcentage est nettement au-dessus de la moyenne, pour autant je ne fais pas du 100% fleurs françaises, pour la simple raison que l’offre à ma portée à Nantes est à ce jour insuffisante pour répondre totalement à ma demande: pas assez de variétés de végétaux différentes, et pas assez de couleurs intéressantes d’un point de vue créatif.
Je l’expliquais déjà ici: je ne peux pas (encore) m’engager dans du 100% local, car cela restreindrait de façon trop drastique ma palette. Je pense que mon style tient aussi dans les associations de couleurs et les jeux de textures que je choisis. Je fais attention à la provenance des fleurs que je sélectionne, mais ce n’est pas l’alpha et l’omega de mon choix et je ne veux pas pour autant sacrifier ma créativité.
What’s next?
Je suis fondamentalement une optimiste.
De grands questionnements de fond ont lieu de manière globale sur notre manière de consommer, les fleurs n’y échappent pas, et la prise de conscience est là.
Je suis convaincue que les choses vont évoluer dans le bon sens. D’une part en améliorant l’existant (soutenir les horticulteurs déjà installés, développer les réseaux de distribution), d’autre part en encourageant les nouveaux projets.
Cela ne se fera pas du jour au lendemain, car ce qui touche à la Terre s’inscrit forcément sur du temps long. Mais je suis convaincue que ça se fera…
J’espère en tout cas que cet article vous aura éclairé sur le sujet de la provenance des fleurs dans vos bouquets. La bonne nouvelle: c’est VOUS, consommateurs, qui avez le pouvoir de faire évoluer les choses!
Dans le contexte actuel, le terme pouvoir d’achat n’a jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui: ’avec un grand pouvoir viennent de grandes responsabilités’ (c’est cadeau et c’est signé Spiderman 😉)
Sources: Wikipedia ; Science & Vie “Bouquets de fleurs : tout n’est pas si rose !” 23/01/2019 ; Fleurs d’Ici
Photo de couverture: Anne Letournel