Fleurs et écoresponsabilité?
Je vous parle depuis longtemps d’éco-responsabilité, j’avais d’ailleurs déjà fait un article à ce sujet dans lequel je vous expliquais ma démarche, les actions que je mets en place au quotidien pour essayer de limiter au mieux mon impact environnemental dans mon activité de fleuriste.
Mais comme ce sujet est ô combien vaste et ô combien compliqué, j’avais envie de vous délivrer ici quelques autres pensées en vrac et questionnements, en toute transparence.
C’est un peu la minute ‘Dear Diary…’ – journal d’une fleuriste en constant questionnement existentiel 😅
De « l’utilité » des fleurs…
Dès que j’ai envisagé de me reconvertir, je me suis posé beaucoup de questions sur le paradoxe entre le métier de fleuriste et mes convictions écologiques.
Parce que oui, soyons clairs, fleuriste et écologique sont forcément antinomiques.
Je m’explique.
Pour qu’un fleuriste travaille, il lui faut des fleurs qui auront nécessité des ressources pour pousser : eau, engrais, pesticides (immense majorité des fleurs sur le marché…), essence pour le transport, impact social…. je vous fais la version abrégée mais vous avez compris l’idée.
Et tout cela pour quoi? Pour un produit final éphémère dont la durée de vie ne dépassera pas une quinzaine de jours. Et pour un produit qui, évidemment, ne sauve pas de vies et ne répond à aucun besoin primaire.
Si on s’arrête à ce postulat de base, alors je vous l’accorde le tableau est assez noir…
Mais… rentre en jeu la notion de Beau.
Il est certain que nous n’avons pas « besoin » de Beau pour vivre, mais sincèrement, la vie aurait-elle la même saveur sans?
Je considère le travail de la fleur comme un art, et je pense que comme tout art, par sa beauté il a la capacité de nous transmettre des émotions, de nous faire rêver, de nous transporter.
Dans notre société actuelle, n’est-ce-pas quelque chose d’essentiel finalement? Ressentir? Rêver? Être transporté? Et finalement, la beauté des fleurs ne vient-elle pas aussi, justement, de leur éphémérité? Cela m’évoque les Vanités, ces natures mortes en vogue à l’époque baroque et qui représentaient souvent des fleurs fanées pour figurer la fragilité de la vie.
Bref. Je m’égare, un peu.
Mettons de côté un instant les considérations philosophiques, pour accepter que oui, nous avons besoin de fleurs dans notre vie, car nous avons besoin de Beau.
Cela m’amène donc à la question : comment concilier métier de fleuriste et éco-responsabilité?
Je ne vais pas revenir en détail ici sur cette question car j’en parle déjà dans mon article précédent.
Mais il y a quelques petites choses dont je n’ai pas encore parlé et que j’évoquerai donc ici.
100% fleurs françaises?
Je vous le disais, aujourd’hui mon gros problème est que j’aimerais, sincèrement, de tout cœur, ne travailler que des fleurs locales, mais à ce jour ce n’est pas possible.
Pourquoi? Simplement car je n’ai pas une offre suffisante.
Pendant la saison, j’ai (enfin) trouvé un producteur local – et en agriculture biologique – auprès duquel je me fournis pour de nombreuses fleurs.
J’ai aussi quelques fleurs françaises disponibles chez mes grossistes mais l’offre est très, très limitée.
Si j’étais vers Paris et que je pouvais me fournir à Rungis, ce serait un peu différent car là-bas on trouve encore une belle offre de producteurs français de fleurs et feuillages, qui plus est tous regroupés au même endroit.
Quand on n’a pas accès à Rungis, s’approvisionner en 100% local est un parcours du combattant…
Il y a aussi de la production dans l’Ouest, mais:
-c’est trop loin. Je pense par exemple aux sublimes fleurs d’Emeline à La Ferme de Lescinquit. J’adorerais me fournir chez elle, mais son exploitation est trop loin de Nantes, je ne peux décemment pas prendre une journée pour faire l’aller-retour dans le Finistère et chercher mes fleurs…
EDIT 2021: cet été j’ai eu le bonheur de travailler ses fleurs et celles de nombreux super producteurs de Bretagne et Loire Atlantique. Joie, bonheur, allégresse… malheureusement de courte durée, car l’intermédiaire qui gérait la logistique a décidé d’arrêter, car pas assez rentable pour eux au bout de quelques mois. Donc retour à la case départ pour le moment 🤦♀️
-les fleurs produites n’ont pas d’intérêt créativement parlant… oui, je pourrais trouver quelques variétés supplémentaires en local. Mais jusqu’à présent, les fleurs que je trouve ne correspondent pas à ce que je recherche. Ce sont des variétés que je n’aime pas utiliser, avec des couleurs très ‘basiques’, et qui présentent à mes yeux un intérêt créatif vraiment limité.
Or je ne souhaite pas non plus sacrifier ma créativité, je reviendrai sur ce point après…
MAIS… je garde espoir!
Aujourd’hui tout cela évolue, la production française qui avait drastiquement chuté connaît un regain, de nouveaux producteurs se lancent, des structures se mettent en place pour promouvoir la fleur française et aider les différents acteurs à travailler ensemble, à s’entraider pour que tout le monde avance dans le bon sens.
Je pense bien sûr au Collectif de la Fleur Française dont je suis adhérente et qui fait un travail formidable en ce sens.
J’ai donc espoir que d’ici quelques mois, quelques années, poussés aussi par une demande croissante des consommateurs, l’offre sera plus large, plus facilement accessible, plus qualitative.
Et en attendant… et bien je triche!… je glane, je mixe fleurs séchées & fraiches, je fais pousser (difficilement car la culture de fleurs est un autre métier!) quelques petites choses dans mon jardin… je me débrouille comme je peux! 😅
EDIT novembre 2020 : si le sujet de la provenance des fleurs vous intéresse, j’ai écrit un nouvel article sur le sujet à retrouver ici.
EDIT avril 2021 : si le sujet des fleurs françaises vous intéresse, j’ai écrit un nouvel article sur le sujet à retrouver ici.
LA question des fleurs teintées et blanchies
Si vous suivez un minimum les tendances dans le monde de la fleur, il ne vous aura pas échappé que les végétaux teintés ou blanchis ont le vent en poupe.
Déjà, il faut savoir un minimum de quoi on parle car il y a beaucoup de produits différents. Ce n’est pas simple d’avoir des infos détaillées car les grossistes et même les fabricants ne sont pas forcément très explicites sur tout ça.
De mes recherches, j’ai trouvé ceci:
-fleurs fraiches teintées (périssables) : par exemple les tulipes ‘Brownie’ de chez VIP Roses, producteur hollandais > selon le producteur les colorants utilisés sont des colorants naturels, qui ne contiennent pas de métaux lourds, sont biodégradables et les fleurs peuvent donc être mises au compost. Je ne sais pas si c’est le cas de toutes les fleurs fraiches teintées pour autant?…
-végétaux stabilisés (se conservent dans le temps) > le processus est le suivant: la sève du végétal est remplacée par une solution à base d’eau, glycérine, substrat et colorant. C’est ce qui permet au végétal de garder sa souplesse et de se conserver dans le temps.
Jusque là ça ne semble pas trop méchant… ok, on parle de ‘produits transformés’, mais le processus est a priori relativement ‘gentil’.
Mais il me manque deux autres catégories d’importance:
-végétaux blanchis (‘bleached’): là c’est autre chose… pour blanchir un végétal, de nombreux traitements chimiques sont nécessaires, et on ne parle pas ici de produits biodégradables, loin de là! Je ne rentrerai pas dans le détail de la chimie pour ne pas vous faire fuir mais si vous parlez anglais et souhaitez creuser le sujet, je trouve cet article de Little Farmhouse Flowers très bien fait.
-végétaux bombés: ici je parle tout simplement des fleurs et feuillage que le fleuriste va teinter lui-même en les peignant à l’aide d’une bombe de peinture. En général, la peinture utilisée est à base d’eau et conçue spécialement pour les fleurs. Mais ça reste de la peinture.
J’ai donc des sentiments très ambivalents à l’encontre de cette famille de végétaux, et voilà en toute transparence ma position à leur sujet.
> pour les fleurs fraiches, j’évite en général les fleurs teintées.
J’en utilise cependant de façon occasionnelle et venant de fournisseurs sur lesquels j’ai un peu d’infos sur le process. Pourquoi? Parce que je suis comme tout le monde: officiellement je mange bio, je fais attention aux produits que je consomme, mais si on me met un pot de Nutella sous le nez je craque. Et c’est ok. On a le droit de craquer de temps en temps…
> j’utilise des végétaux stabilisés et quelques végétaux blanchis dans mes créations en fleurs séchées. Pourquoi? Parce que je trouve qu’ils apportent une vraie valeur ajoutée en complément des fleurs séchées : palette de couleurs et de fleurs élargie, aspect visuel plus proche de la fleur fraiche. Et je pars du principe qu’on parle là de créations qui vont se conserver pendant plusieurs années, donc le fait que ce soit un produit transformé me semble par conséquent moins gênant. Par contre, je n’utilise jamais ces végétaux en mélange avec des fleurs fraiches, en effet puisqu’ils se conservent dans le temps et ont nécessité un gros process de fabrication, je trouve ça aberrant qu’ils finissent à la poubelle au bout de quelques jours.
Alors oui, je pourrais travailler en 100% fleurs séchées, 100% locales, sans végétaux stabilisés ni teintés. MAIS… le rendu serait très différent, et la palette beaucoup plus restreinte.
Ce qui m’amène à vous parler de créativité…
Être éco-responsable, un frein à la créativité?
Je n’irai pas par quatre chemins, à mon sens la réponse est oui.
Oui car cela restreint forcément la palette de végétaux utilisables.
Ainsi il y a plusieurs options:
-proposer strictement du 100% local, et donc travailler avec une palette (beaucoup) plus limitée.
-ne rien en avoir à faire. C’est aussi un choix, de nombreux fleuristes ne se posent pas de questions sur la provenance de leurs fleurs. Dans ce cas no limit, aucun frein à la créativité. Mais à quel prix?
-et puis il y a l’entre-deux, où je me situe. Je ne peux pas (encore) m’engager dans du 100% local, car cela restreindrait de façon trop drastique ma palette. Je pense que mon style tient aussi dans les associations de couleurs et les jeux de textures que je choisis. Je fais attention à la provenance des fleurs que je sélectionne, mais ce n’est pas l’alpha et l’omega de mon choix. Je ne veux pas sacrifier ma créativité.
Une remarque cependant: je ne parle ici que du choix des fleurs, mais comme je l’expliquais dans mon précédent article, il y a aussi de nombreuses autres actions qui accompagnent une démarche éco-responsable, et notamment le choix de travailler sans mousse florale et plus globalement dans une démarche zéro déchet.
La bonne nouvelle avec cette démarche: ce n’est PAS un frein à la créativité!
Il y a vraiment peu de compositions qui ne peuvent pas être réalisées sans mousse, à nous fleuristes de refuser de les faire et de proposer des alternatives. Car il y a TOUJOURS des alternatives, pas forcément plus coûteuses, pas forcément plus compliquées à mettre en oeuvre.
À force d’en parler, les clients sont de plus en plus sensibles à ces questions et ont des demandes dans ce sens, ça ne peut que nous encourager, nous fleuristes, à nous engager tous dans cette voie et à mettre en place de meilleures pratiques.
Je vous avais prévenu, je vous parle ici sans langue de bois et en toute transparence. Mais ces questions ne sont pas toujours traitées ainsi, et c’est bien ça qui me chagrine…
Vraie démarche éco-responsable VS greenwashing
Je terminerai cet article par quelques mots sur les dérives de communication sur le sujet de l’éco-responsabilité dans le monde de la fleur. Ces dérives sont d’ailleurs nombreuses dans de très nombreux autres domaines, mais là n’est pas le sujet, je resterai sur les fleurs…
Le fait de travailler de façon éco-responsable est de plus en plus ‘tendance’.
Et tant mieux! C’est tout ce que je souhaite!
Mais…
Je vois trop souvent passer, sur les réseaux ou autre, des petites phrases qui me font tiquer, qui passent peut-être auprès des clients mais qui ne dupent pas les autres fleuristes, ceux qui connaissent les coulisses.
Je ne citerai pas de noms ou d’exemples précis ici, mais je pense juste que s’il y a bien un sujet sur lequel nous nous devons d’être transparents, c’est celui-ci.
Nos clients n’ont souvent pas conscience de tous ces enjeux écologiques. On peut choisir de ne pas leur en parler, soit. Mais si vous choisissez de leur parler d’éco-responsabilité, alors pitié, pas de bullshit, soyez transparents: personne ne peut se targuer d’être parfait.
J’ai lu récemment une phrase au sujet du zéro déchet qui s’applique aussi très bien ici, je reprendrai donc son message pour conclure cet article: Nous n’avons pas besoin d’une poignée de gens qui font les choses parfaitement. Nous avons besoin de millions de gens qui essayent, imparfaitement.
Voilà pour ce petit billet d’humeur, ces questionnements existentiels que j’avais envie de partager… je vous avais prévenus, c’est en vrac, c’est un peu décousu, mais c’est écrit avec sincérité et coeur.
Et ça me fait du bien de l’écrire, c’est moins cher que le psy 😂😅
Je serais vraiment ravie d’avoir vos retour sur ces sujets, n’hésitez pas à m’envoyer un petit mail ou MP pour partager vos commentaires.
Merci ❤︎
Photos par Dorothée Buteau